CHAPITRE XV

Le vert éblouissant des feuilles de lindemor se rua à sa rencontre. Obi-Wan attira la Force de toutes les choses vivantes qui l’entouraient et la concentra en lui. Il agrippa une branche au passage. Ses doigts se refermèrent dessus, et il utilisa son élan pour se projeter sur une autre, un peu plus basse. Il descendit ainsi de branche en branche, puis sauta à terre.

Il ne prit même pas la peine de lever les yeux. Giba devait déjà appeler la garde royale. Il lui fallait s’introduire dans la Chambre du Conseil sans se faire repérer.

Obi-Wan se glissa discrètement par la porte des cuisines. Il passa au pas de course devant les cuisiniers stupéfaits, s’engouffra dans l’office, traversa comme une flèche les salles à manger et déboula dans le couloir qui menait à l’aile réservée au Conseil des Ministres.

Les couloirs étaient déserts. Obi-Wan enfila un corridor de marbre, regrettant de ne pas avoir son sabre laser. Il entendit des pas pressés qui venaient dans sa direction et se précipita dans la première pièce qui se présenta.

Il referma la porte et s’adossa au battant. Les pas s’éloignèrent rapidement.

Il relâcha son souffle. Sauvé. Pour l’instant.

Il se trouvait dans une sorte de salle de réception. D’un côté, une banquette dorée et ouvragée trônait sur une estrade, face à une rangée de fauteuils. De somptueuses tapisseries ornaient les murs. Au fond, une collection d’armes anciennes était exposée dans une vitrine.

Obi-Wan remarqua une porte à l’extrémité opposée. Il y courut et, tournant la poignée, la poussa prudemment. Il sentit alors qu’on la tirait de l’autre côté. Sous l’effet conjugué des deux mouvements, elle s’ouvrit à la volée, et le prince Beju entra en chancelant dans la pièce.

Il recouvra immédiatement l’équilibre et fusilla Obi-Wan du regard.

– Tu te caches comme le couard que tu es ? Eh bien, c’est inutile. Il y a des gardes partout. Ils seront là dans un instant.

Le Prince se dirigea vers la série de tubes qui servaient à appeler les gardes et les serviteurs. Il s’approcha du rouge.

S’il l’activait, Obi-Wan était perdu. Et la Reine avec lui.

– Tu me traites de couard, dit le jeune Jedi d’un ton calme qui masquait son désespoir, et pourtant, tu t’empresses d’appeler tes gardes à la rescousse.

Le prince Beju eut une hésitation.

– Me traiterais-tu de peureux ?

– Je tire juste les conclusions qui s’imposent, répondit Obi-Wan en haussant les épaules. Depuis que je suis ici, tu m’accuses de poltronnerie. Mais tu as toujours un garde à portée de voix. Que signifient les paroles quand les actes les contredisent ? Je t’affronte seul, mais toi, tu es toujours entouré de gens pour se battre à ta place. Et c’est moi le couard ?

Le prince Beju devint écarlate. Il laissa retomber la main et se précipita vers la vitrine où étaient exposées les armes. Il souleva le couvercle et en prit une.

– Sais-tu ce que c’est, Obi-Wan ? fit-il en la brandissant.

– C’est une épée.

Il n’en avait jamais tenu une, mais en avait vu des dessins au Temple. C’était comme un sabre laser, mais fait de métal.

Le prince Beju la leva bien haut, puis l’abattit sur une tapisserie, que la lame trancha net.

– Nous les aiguisons régulièrement. J’ai étudié l’escrime. Cela faisait partie de mon éducation d’héritier du trône. Mon père y tenait particulièrement.

Il feignit de frapper Obi-Wan. Celui-ci ne cilla même pas.

– Crois-tu pouvoir en manier une ? Ou un Jedi ne se bat-il qu’avec ses propres armes afin de toujours garder l’avantage ?

Son sourire sarcastique fit luire ses dents blanches.

– Il y a une façon très simple de le savoir, fît Obi-Wan d’un ton uni.

Il devait se concentrer sur le combat à venir. Il ne pouvait se laisser troubler par les railleries du Prince.

Beju prit une seconde épée et la jeta à Obi-Wan. Avant que celui-ci n’ait pu refermer les doigts sur la poignée, Beju se fendit. Obi-Wan eut le temps d’éviter le coup, mais la lame affilée lacéra sa tunique. Il sentit le sang couler le long de son bras.

– Tu as ton compte ? persifla Beju.

En guise de réponse, Obi-Wan allongea une botte que Beju para dans un tintement métallique. Puis le Prince le repoussa avec une force inattendue. Apparemment, il était en bien meilleure condition qu’Obi-Wan ne l’aurait cru.

Beju continua d’attaquer et Obi-Wan de se défendre. Son expérience du sabre laser le servait, mais il n’était pas habitué au choc qui lui remontait le bras jusqu’à l’épaule chaque fois que leurs lames s’entrechoquaient. L’épée était aussi beaucoup plus lourde qu’un sabre laser, ce qui le faisait réagir à contretemps. Beju poussait son avantage, attaquant sans relâche, frappant de taille et d’estoc. Pour la première fois, Obi-Wan douta de pouvoir vaincre le Prince à son propre jeu.

Au combat, douter jamais tu ne dois.

La voix de Yoda s’éleva dans son esprit, comme chaque fois qu’il était en difficulté. Croire tu dois. Croire en la Force. L’appeler en toi, tu devras.

Oui, il disposait d’un avantage sur Beju. Obi-Wan invoqua la Force. Il la sentit monter en lui. Tous ses doutes se dissipèrent, remplacés par une certitude inébranlable. Il allait gagner parce qu’il le devait.

Soudain, l’épée dans sa main lui parut familière, son poids rassurant. Il bondit sur la banquette royale et plongea sur Beju en brandissant bien haut sa lame, l’abaissa, frappa d’un côté, puis de l’autre avec une vélocité qui prit Beju par surprise. Le Prince recula, soudain sur la défensive pour contrer les assauts furieux du Jedi.

L’esprit d’Obi-Wan était limpide. Nulle haine, nulle amertume ne l’embrumait. Il devait arrêter Beju. Il frappa à nouveau, tentant de lui arracher son arme.

Mais le Prince contre-attaqua. Il était mû par la colère, et celle-ci, secondée par l’adresse, peut être un puissant allié. Beju lança donc son offensive. Il frappa, encore et encore. Obi-Wan repoussa les attaques, sentant les coups vigoureux courir dans son bras. Il avait l’épaule en feu.

La sueur coulait sur son visage. Beju perdit l’équilibre et tituba. Cela faisait un certain temps qu’ils s’affrontaient. Sa figure était écarlate sous l’effort. Obi-Wan perçut son épuisement et forma des vœux pour qu’il lui fasse commettre une erreur !

Il se lança à nouveau sur son adversaire et réussit à l’acculer dans un coin. Maintenant, Beju était aux abois et ne pouvait plus lui échapper. D’un coup plongeant, Obi-Wan lui arracha son épée. Beju se précipita pour la récupérer, et ses doigts allaient se refermer sur la poignée quand Obi-Wan sauta par-dessus une chaise pour l’en empêcher.

Derrière eux, une voix vrilla le silence :

– Il suffit !

Une silhouette encapuchonnée surgit, portant la robe argentée d’un membre du Conseil. Obi-Wan reconnut l’ancien qu’il avait vu apparaître et disparaître mystérieusement dans les jardins.

– Tu vas perdre, mon Prince. C’est une évidence.

– Non ! hurla Beju.

Au même moment, le pied d’Obi-Wan s’abattit sur son poignet, lui interdisant de récupérer son épée.

– De plus, Viso, aboya le Prince, comment peux-tu dire cela ? Tu es aveugle ! Tu ne peux même pas distinguer ta main !

Obi-Wan examina l’ancien d’un peu plus près. Il comprit que ses yeux d’un bleu laiteux étaient incapables de voir. D’un geste prompt, Obi-Wan se baissa et ramassa l’épée de Beju.

– Il y a quelque temps déjà que j’ai su que tu allais perdre, reprit Viso d’une voix calme. Ce combat est accessoire. Il y a trop longtemps que tu nies la vérité. Et quand un homme agit ainsi, il perd.

Le prince Beju effectua un roulé-boulé et se releva en chancelant.

– Cesse de parler par énigmes, vieillard. Tes récits m’ont toujours ennuyé.

La grossièreté de Beju laissa Viso de marbre.

– La reine Veda ne t’a pas menti, mais ton père, si. Tout comme Giba. Tous ceux que tu vénérais t’ont menti. Tous, sauf la femme qui t’a donné le jour.

– Va-t’en ! cria le Prince. Je te ferai jeter en prison pour tes mensonges !

– En ce cas, tu devras les prouver. Ne souhaites-tu pas voir mes preuves d’abord ? En as-tu le courage ?

Obi-Wan regarda Beju. Le Prince ne pouvait reculer. Viso l’avait aussi sûrement acculé qu’Obi-Wan lors de leur affrontement à l’épée.

– Très bien, vieil homme, railla le Prince. Montre-moi tes prétendues preuves. Ensuite j’aurai l’immense satisfaction de te faire jeter dans les prisons de la tour.

Viso s’inclina, puis leur fît signe de le suivre. Après avoir traversé une imposante salle de réunion, ils entrèrent dans une petite antichambre.

La pièce, en pierre bleu pâle, était entièrement vide. Sur le sol, un dessin très élaboré représentant des carrés emboîtés avait été tracé en gris dans la pierre.

– Prince Beju, dit Viso, veuillez vous placer sur le carré central.

Tout à coup, le Prince eut l’air nerveux.

– Le carré au cœur du carré, dit-il. Mon père a souvent prononcé cette phrase, mais sans jamais en expliquer le sens. Il disait… il disait que le jour où je serais assez fort pour supporter ce qu’elle signifiait, je serais prêt.

– Es-tu assez fort ? demanda Viso.

En guise de réponse, le Prince prit place à l’endroit désigné. À peine eut-il foulé du pied le carré que les murs se mirent à luire. Sous le regard stupéfait d’Obi-Wan, de minces faisceaux de lumière dorée balayèrent soudain le prince Beju pour former des entrelacs en perpétuel mouvement. Il n’aurait pu dire d’où ils provenaient ; la lumière semblait surgir de nulle part.

Obi-Wan remarqua alors que les faisceaux lumineux projetaient des ombres sur le sol et sur les murs, mais pas sur Beju lui-même.

– Tu vois, mon Prince, dit doucement Viso, tu ne portes pas la marque royale. Ce n’est pas toi l’héritier.

Le Prince fit un pas de côté, sortant du carré. Aussitôt, les rayons lumineux s’évanouirent.

Obi-Wan attendait que le Prince fulmine, dise que cela ne prouvait rien, se moque de Viso en le traitant de vieux fou ou de menteur. Mais, à sa grande surprise, il n’en fit rien.

Il tomba lentement à genoux et enfouit sa tête dans ses mains. Obi-Wan vit trembler ses épaules.

Viso s’approcha d’Obi-Wan.

– Il vient de perdre tout ce qui donnait un sens à sa vie, murmura-t-il. Tu dois l’aider, Obi-Wan.

Puis Viso sortit sans bruit, laissant le jeune Jedi seul avec le Prince en larmes.